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La distillerie de mots vous offre deux récits en y, deuxième lettre de son abécédaire à l’envers

car le y ne serait-il pas la confluence de deux i ? Découvrez ci-dessous Antygua et La voie du Y.

 

ANTYGUA

Antygua est atypique. Depuis qu’un y est venu s’immiscer dans son prénom à sa naissance. Son i a été boycotté et balayé par un y du fait d’un employé de mairie désagréablement chauvin. Et qui ne connaît même pas Barbuda. Fort heureusement pour monsieur Lajoye, l’employé de mairie en question, elle n’est alors âgée que d’un jour. Sinon il aurait passé un sale quart heure qui aurait pu durer plus longtemps car Antygua est manifestement cabocharde. Voire il aurait pu dû se prendre une volée de ylang-ylang jaune, c’est comme une volée de bois vert mais ça cogne beaucoup plus fort telles des pensées fleuries d’ouverture d’esprit.
À l’âge de 2 ans, elle voyage en youpala depuis sa maison blanche aux volets améthyste jusqu’à la maison vêtue de glycines de sa tante yé-yé qui harmonise yakuta marron et chapeau orange. Interstice entre les deux maisons : pas moins de dix mètres abyssaux. Un rayon d’odyssée quasi interstellaire. C’est le début des vagabondages sans limite. Antygua est passée du tricycle rassurant à l’équilibre instable d’une bicyclette en un instant, car elle en a décidé ainsi. Même si c’est instable.
À l’âge de 11 ans, âge scientifiquement confirmé dans le fond d’un verre Duralex à la cantine, elle travaille dur pour la
CCSE, Croix de bois Croix de fer Si je mens je vais en Enfer, une Organisation Naïve Gadoueuse, elle en est la seule doyenne, dont le but est d’enrayer la guerre entre les escargots et les carabes dorés. Quand la si fragile paix arrive, elle cuisine pour eux un sabayon calumet composé de yuzu déshydraté, de yaourt et de thym frais.
À l’adolescence elle n’a de cesse de mettre au point un prototype de spray anti-abrutis. Un pulvérisateur hydratant à base d’hydromel qui ankylose les esprits les plus étroits et les tyrans, spray qu’elle a savamment et patiemment mis au point dans sa petite cabane de jardin en bois pourri mais couleur cyan.
À l’âge soi-disant mature, elle s’est octroyée quelques prestigieux diplômes sans se ruiner un seul neurone. Elle n’en est pas pour autant devenue plus polytechnicienne que son sherry Ulisse est devenu dresseur de hyènes et de grizzly. À qui on a piqué le y. Pas la même mairie mais parce que l’employé de mairie était désagréablement inculte. Ulisse n’est pas du genre à atermoyer. C’est un spécialiste de la typographie pyrotechnique à base de glyphes cinglants au service des causes perdues mais pas pour toujours. Il s’échine aussi à écharper l’administration dactylographe qui ne reconnaît ni les traits d’union, ni les accents sur les capitales, ni les vols de i et de y.
Antygua s’engage lorsque les droits des enfants, des femmes et des hommes sont lynchés aux cinq coins de la planète. De Beyrouth à la Libye, du Yémen à l’Uruguay, du Bélize – où on parle encore maya – au Myanmar où, parfois, on ne peut plus parler du tout. De Chypre à l’Égypte, de l’Érythrée à la Syrie. De Volodymyr à Zelensky. D’Alexeï à Navalny.
Antygua n’a jamais aboyé, elle décortique chaque mot pour comprendre, dialoguer et réfuter les abyssales théories du complot. Et quand elle est soûlée par la lâcheté des hommes, elle dit : allez youp, du balai, sans vous ce serait Byzance. Et cuisine un sabayon pour effrayer ses angoisses qui, après dégustation, bégayent et presque disparaissent.
Pour nettoyer ses méninges, elle file crabe-tambour battant sur une Royal Enfield 500 Fureur, une moto monocylindre de 1963. Couleur gris de Payne ombrée d’étain oxydé. Elle ne peut pas se résoudre à être martyre d’elle-même. Ni à hypothéquer son âme. Ni à se faire surprendre par la psychose. Ni à zézayer. Ni à se faire avoir par une subite hypoglycémie, sabayon oblige. Ni à se gaver d’anxiolytiques quand les puissants ne discutent plus mais imposent.
Sa playlist se résume en un seul mythique vinyle de Youssou N’dour et Neneh Cherry : Seven seconds qu’elle écoutait avant de décider de la date de sa naissance à moins de seize mille lieues. Beugouma kouma khol oaldine yaw li neka si yaw. We’re seven seconds away. Elle n’est pas du genre à yogater ni yoyoter, pas le temps, ni à déambuler avec un yorkshire bonnet en lycra sur la tête, ni à arborer des cheveux jaunes péroxydés. Elle tente inlassablement de transformer des usines à gaz en usines à oxygène, intransigeante de tolérance.
Agression. À l’âge de 22 ans par des mains tripoteuses, dans l’ascenseur d’une très respectable
OG – le N ayant été soustrait par un employé du gouvernement – commis par un haut fonctionnaire voyou, spécialiste du droit international tendance GBW, Gamay Brouilly Whisky. Mais que nenni du droit des ascenseurs. Antygua lui a explosé le nez d’un coup de poing psychomoteur, définition : relatif à la synergie entre le psychisme et la motricité. Le pachyderme a été instantanément asphyxié. Avec style. C’est exact. Dix jours de RTTST, Ravale Ton Tacle Sans Tact. Monsieur Whisky a déposé plainte contre Antygua, définition de la plainte : insulte type symbole systématique, hypocrite, stéréotypé : cela ne s’est pas passé ainsi, madame est hystérique. Avec un tel prénom caribéen, elle n’a aucune chance. Sauf qu’Antygua a provoqué un cyclone juridique. Ne pas démystifier ni s’apitoyer, elle est un syndicantygua à elle tout seule. Le prix à payer pour monsieur Whisky fut : une demi-Brouilly avec sursis. C’est tout. Bien singulière expression quand ce n’est pas assez. Mais c’est bien loin d’être fini pour lui qui est déjà fini. Car Ulisse veille majestueusement, post-synchronisation oblige.
Le monde sera-t-il plus équilibré après les combats d’Antygua et d’Ulisse ? Pas si sûr quand on vole encore des i ou des y à la naissance et que des messieurs Whisky restent encore convaincus de. Antygua et Ulisse partiront un jour peut-être bientôt vite, lyrique symbiose, non pas sur un yacht, ni sur un yawl, ni sur un kayak mais sur une yole de Bantry byzantium, soyeuse, pour panser leurs maux, au rythme d’un doux zéphyr, impavidement, telle une symphonie synchrone à la vie, les yeux rivés vers le Yukon après avoir fait escale à Antalya.

P.A.

LA VOIE DU Y

Y'en a marre. Coincé devant ce nouvel embranchement, y’a comme un hiatus. Comment trouver sa voie ? Bénis sont ceux qui traversent la vie comme un yodleur en tyrolienne.

Moi j’dis qu’la vie ça fout rien que des gnons, ça vous rend pion, ça vous dresse comme une cage aux lions. Le maître yogi que j’ai dans la soupière mitraille quant à lui des drôles de haïkus, du genre : à trop yoyotter, c’est un coup à finir comme Mishima, Yukio. Alors, yallah ! Yolo !
Au fait moi c’est Yann, ion d’la génération Y, je sillonne les routes de France pour trouver ma voie en suivant celle du « i grec ». Je suis parti y’a bien longtemps d’Ys — légendaire ville bretonne ensevelie — et je vise Y — seule ville du pays tenant dans une seule lettre —, reliée à Ys par un long esse. Y ? Ça se situe dans la Somme. La Somme ? Trois mille yards au nord de l’Yonne. Mes repères ne sont pas embrouillés, ce sont les miens.

Je voyage seul, seul, avec pour seule conviction mon Y, ma lettre indécise, unique semi-voyelle ; avec pour seule arme ma lettre-lance-pierre ; pour seule ivresse ma lettre-verre à cocktail ; pour seul couvre-chef… ma lettre-entonnoir. Y’en a qui retournent les entonnoirs pour en faire de curieux chapeaux à pointe, on les traite de fous, y me paraissent pas plus fous que toutes ces langues tirées sous l’entonnoir, à ne jamais r’garder ce qu’on y verse. Yec'hed mat. Je veux bien qu’on se paye ma tête, mais je n’accepte que les yens.
Au vingt-cinquième réveil du voyage, voilà que je m’éveille. Inutile de singer les hommes quand on est yéti : adieu autrui, je suis autre-i, je cisaille ma yourte, enfourche Yuki, mon yak d’Himalaya, yeehaa ! Je suis un yakuza yankee, ascendant yéménite yiddish, hiérarque yé-yé, polythéiste morcelé comme un yougo, je regarde Yahvé dans les yeux, lui jacte en yaourt, recompose le monde façon Yalta, pas l’temps de r’prendre son souffle, je suis Lester Young… en Super Saiyan !
Nouvel embranchement. Devant se dresse Yggdrasil, l’arbre-monde. L’arbre mythique « Yggdrasil » : aussi sûr que « serpent » devait commencer par un S et « œuf » par un O. À nouveau la voix du yogi : le Y n’est pas un embranchement, mais un élargissement. À courir après tous ses fruits, tu vas te dévoyer. Prends racine pour te déployer. C’est un « i grec », non un « i monde ». Tout ça ne m’avance pas d’un iota. Au fond j’crois que du yin et du yang, j’aimerais être l’esse.
De Ys à Y, me voilà le pied à Lyon. Seule ville au monde avec Pittsburgh, Pennsylvanie, abritant en son cœur la confluence de deux cours d’eau. J’y suis. J’y reste ?

S.G.

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