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TROIS AVENTURIERS TROPÉZIENS

VOGUANT SUR L'HISTOIRE


Si leur vie faisait l’objet d’un biopic réalisé par Ridley Scott, nous n’y croirions pas. Ils sont trois aventuriers tropéziens aux destins invraisemblables.

Ils s’appellent Jean-François, Hippolyte ou Pierre-André. Ils furent général, amiral ou bailli. Ils ont découvert la mer dans le golfe tropézien, avant d’imposer leur style sur les eaux du monde entier. Aujourd’hui, leur nom figure sur une sépulture grandiose au Pakistan, a été donné à des sous-marins nucléaires ou à une ville en Argentine. Découvrez ici leur histoire, que vous pourrez plus largement explorer au sein du Musée de l’histoire maritime de Saint-Tropez, au cœur de sa citadelle. Tous les faits mentionnés sont historiques, jusqu’aux plus surprenantes anecdotes.

Depuis la plage de Moorea, saluons ces illustres personnages de l’odyssée maritime tropézienne. Bien avant Brigitte Bardot et Eddie Barclay, ils ont façonné la légende de la cité corsaire aux quatre coins du monde.

Hippolyte de Bouchard
L’homme qui faisait naître des pays

Né à Bormes-les-Mimosas en 1780, André Paul suit très tôt son père aubergiste à Saint- Trop’. Il pêche le thon à la madrague et écoute les murmures révolutionnaires dans l’auberge paternelle.

Du haut de ses 18 ans et de son mètre quatre-vingt-dix, il s’engage dans la Marine Française. Il envoie des boulets de canon pour Napoléon dans les eaux de Malte, d’Égypte et jusqu’à Saint-Domingue. Il échappe là-bas par miracle à un massacre.
Déçu par la Révolution Française, il part faire du business aux États-Unis. Le rêve américain avant l’heure. Mais il a soif d’action et de révolution.

Il débarque en Argentine pour bouleverser son histoire. Il s’y fait une place à grands coups de charisme et punchlines dans un coloré mélange d’espagnol et de provençal. Le Varois devient rapidement le deuxième commandant de la nouvelle flotte nationale argentine, reconnu par tous pour son courage mais aussi pour sa délicieuse manie d’admonester ses soldats les moins motivés à coup de plat de sabre. Il chipe un drapeau espagnol lors d’une bataille décisive et devient héros de l’indépendance argentine.
Il choisit alors de se faire appeler Hippolyte, prénom de son jeune frère né à Saint-Tropez, cité dont il vante les mérites dans chaque port où il passe.

S’ensuit un périple épique autour du monde : il libère des esclaves de négriers anglais et français au large de Madagascar, bataille contre les Espagnols à Manille, puis, en manque de révolution toujours, s’en va castagner pour la conquête de Lima et l'indépendance du Pérou. Entre temps, il fait un stop à Hawaï où il troque avec le roi Kaméhaméha un bateau contre son chapeau et son sabre ; vous savez, ce sabre qui lui servait à mettre des taquets aux soldats dissipés.

Hippolyte de Bouchard, ce Borméen de naissance, Tropézien de cœur, aujourd’hui méconnu en France, est célébré partout en Argentine : des places, rues, écoles et même une ville portent son nom.    

Pierre-André "le bailli" de Suffren
L’homme qu’on appelait "Jupiter" ou "amiral Satan"

Pierre-André est né en 1729 à Saint-Cannat, douzième d’une famille de quatorze enfants. Il découvre à bord des bateaux de pêche de Saint-Trop’ celle avec qui il passera toute sa vie : la mer. À 14 ans,
il rejoint l’école des gardes de la marine. À 15, il participe à ses premiers combats devant Toulon. À 16, il part en campagnes aux Antilles et au Canada. À 18, il est fait prisonnier par les Anglais. Un jeune homme pressé.

À 27 ans, il passe lieutenant, s’occupe en temps de paix en chassant du pirate avec ses copains de l'ordre de Malte, des genres de néo-templiers super classes (qui le nomment Bailli, un grade non moins classe). Puis, la grande, la très grande aventure l’appelle.

D’abord la guerre d’indépendance américaine aux commandes d’un vaisseau de soixante-quatre canons. P-A est désormais capitaine. Puis le périple de sa vie à partir de 1781 : une folle course-poursuite de dix mille milles avec la marine anglaise, contre son meilleur ennemi : l’amiral Hugues. Ils se battront sans relâche autour de l’Afrique, puis dans les Indes, côtes du bout du monde où s’est étendue la Guerre d’Amérique.

Les Anglais le surnomment « l'amiral Satan », ça pose le bonhomme. Sa galanterie et ses manières d’aristocrate raffiné contrastent avec son langage cru, émaillé de jurons provençaux, surtout au moment de fustiger l'incompétence d'un officier. Bedonnant, une chemise de coton trempée de sueur, les manches retroussées au-dessus du coude, P-A se déplace partout, tantôt à la barre vociférant des ordres à ses hommes, tantôt sur le pont, vociférant des injures à l’ennemi, un pistolet à la main, une longue vue dans l’autre. On le voit même, en pleine bataille, glisser le long d'un filin, sauter dans un canot et reprendre en main un de ses vaisseaux qui s'en va à la dérive.

Il meurt en 1788, à 59 ans, laissant derrière lui l’image d’un tacticien de génie, une sorte de Napoléon sur mer.
P-A lègue son nom à de nombreux navires de guerre français : cuirassés, croiseurs et autres frégates, mais aussi à une classe de sous-marins nucléaires. Le personnage a tant marqué l’Histoire, que l’on nomme parfois Saint-Tropez « la cité du Bailli de Suffren ». CQFD.


Jean-François Allard
L’homme qui levait des armées dans les Indes

Jean-François est né à Saint-Trop’ en l’an 1785. Assoiffé d’aventures, il s’engage dans les troupes napoléoniennes à 18 ans et impose très vite son style : élégant, intrépide, brillant. Capitaine des Hussards à 30 ans et admiré de tous, la débâcle de Waterloo et la Restauration le mettent au chômage.

Alors qu’il s’apprête à embarquer pour les States, son destin l’attrape par l’épaule sur le quai, l’invitant à écrire sa légende à l’Est. C’est un officier italien qui lui propose une autre aventure : aller faire fortune en Égypte. J-F n’y trouve que la peste qui ravage le pays. Cap plus loin vers l’Orient.

En Perse, il est accueilli avec les honneurs par un prince, avant d’être traqué par les Anglais. Il fuit à Kaboul en se déguisant, puis vers les Indes, où, paraît-il, un prince très carriériste cherche à consolider son royaume…

Nous sommes en 1822, J-F rencontre Ranjit Singh, roi de Lahore. Le Tropézien constitue là-bas une unité d’élite sur le modèle français, surnommé la French Legion par les services de renseignement britanniques. Puis un régiment, puis une brigade, puis une véritable armée triomphant partout où elle passe.

Il épouse une jeune princesse capturée, Bannou Pan Deï. Fasciné par sa beauté et sa vivacité d’esprit, il refuse de se constituer un harem (!), il n’y aura qu’elle. Selon la tradition hindoue du satî, si J-F meurt, Bannou devra s’immoler sur le bûcher de crémation de son défunt mari, laissant seuls leurs cinq enfants.

Pas emballé par l’idée, J-F emmène toute la joyeuse troupe en France.

Il est accueilli comme une rockstar au pays, le roi Louis-Philippe lui-même le reçoit pour ouïr ses aventures. Il épouse Bannou à Saint Trop’ et fait ériger pour sa famille un magnifique palais d’inspiration pendjabie, devenu aujourd’hui un hôtel de luxe.

J-F décède quelques années plus tard, à Lahore, où il avait promis au prince de revenir. Il y demeure dans une grandiose sépulture. Bannou élève ses cinq enfants en France avant de s’éteindre à un âge avancé dans sa bastide de Saint-Tropez. La princesse hindoue repose dans le cimetière marin de Saint-Tropez.

S.G.

Ce triptyque de portraits est paru dans le magazine MORE #6, été 2021.

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