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COMMENT TROIS MOTS PEUVENT-ILS SAUVER LA VIE D'UN CONDAMNÉ À MORT ?


De tous les bouffons, Triboulet fut le plus grand. Un virtuose. Le Mozart de la pitrerie, Rodin de la répartie, Michel-Ange de la farce, Michael Jordan du bon mot.


Nous sommes au début du XVIe siècle, à la cour de François 1er. Sous son chapeau multicolore à grelots, Triboulet distribue des épigrammes cinglantes (qu’Anglo-Saxons et polyglottes nommeront punchlines).


Triboulet est si bon que les cibles de ses attaques peinent parfois à se relever des fous rires déclenchés à leur encontre. Mais la vengeance guette. Le métier est risqué.


Notre bouffon va frôler la mort une première fois quand un baron outré promet de l’égorger. Triboulet accourt alors dans les jupes du premier des François, qui se veut rassurant :


Ne crains rien, si quelqu'un osait porter la main sur toi,

je le ferai pendre dans le quart d'heure qui suit.
Ah, mon cousin, s’il plaisait à Votre Majesté

de le faire pendre un quart d’heure avant, je m’en trouverais bien mieux.


Triboulet peut non seulement se targuer d’être brillant, mais aussi d’être le seul être sur Terre à pouvoir donner du « mon cousin » à François 1er.
Derrière le bouclier du roi, il distille ainsi des années durant les bons mots les plus indécents. Jusqu’à celui de trop. Tous les dignitaires du royaume sont présents à ce banquet. Le rictus moqueur de Triboulet s’entrouvre pour la détonation… Pan ! Le mot part comme une balle, siffle entre les convives et vient se loger en plein dans la dignité d’une maîtresse de Sa Majesté. Sous la déflagration d’hilarité provoquée par la violence de l’impact, la dignité ne s’en relèvera pas. Voisin de table, le roi se fait copieusement éclabousser par les gerbes d’humiliation. C’est l’autorité royale qui s’en retrouve souillée. Le suzerain n’a plus le choix. À contrecoeur – cela va sans dire –, il se résout à délester son bouffon de sa tête à grelots, mère de saillies capables de déstabiliser la couronne.


Du fond de son cachot, notre cher Triboulet attend l’heure de son terrible châtiment sur la place publique, jusqu’à ce que mort s’ensuive.


Sans doute au cours d’un interminable dîner, orphelin des pantalonnades du fou génial, François 1er nourrit de son côté quelques états d’âme. Le monarque descend dans les geôles.


Mon vieux Triboulet… le roi de France ne peut se permettre de libérer le coupable

d’un tel affront à sa personne… mais je t’accorde une faveur, celle de choisir le trépas qu’il te siéra.

Alors, dis-moi, de quoi veux-tu mourir ?
De vieillesse, Sire.


Bouche bée, François 1er resta planté là quelques instants, avant de se retirer.


La peine de mort de Triboulet sera commuée en bannissement.


Avant d’envisager un jour de vous sauver la vie grâce aux mots, si vous leur laissiez déjà le soin de la raconter ?

S.G.

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