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TROPEZ DE PISE

D'UNE LÉGENDE À UNE AUTRE !


Saint-Tropez… tout le monde connaît le nom de ce village célèbre dans le monde entier. Peu de gens, tropéziens y compris, connaissent en revanche l’histoire de l’homme qui lui donna son nom ! More vous présente la légende historique du chevalier Torpès jusqu’à son exécution en 68, suivie d’une autre légende, un poil plus abracadabrantesque, emmenant notre patricien romain jusqu’à nos jours, sur la plage de Moorea.

Un Romain de bonne famille
Caius Silvius Torpetius nait à Pise au début de notre ère, autour de l’an 30 après Jésus- Christ. Il est élevé au sein de ce qu’on appellerait aujourd’hui « une bonne famille » et qu’on appelait alors dans la Rome antique une famille patricienne.

Comme beaucoup de gens de son rang, Torpetius embrasse une carrière militaire dans le vaste Empire Romain, la plus grande puissance du monde connu en ce début de millénaire. Courageux, droit, respecté de tous, celui que l’on surnomme Torpez (ou chevalier Torpès) gravit rapidement les échelons jusqu’à devenir officier de l’empereur romain Néron, puis chef de sa garde personnelle et enfin intendant de son palais. La vie ce patricien exemplaire se déroule donc sous les meilleurs auspices, mais voilà, Torpez a un secret…

Le garde du corps de Saint-Paul frappé par sa foi
Notre homme eut un jour à assurer la garde rapprochée d’un certain Paul, un homme habité d’une foi nouvelle, disant porter le message de Dieu fait homme. Cet homme est Saint-Paul, apôtre de Jésus-Christ, et son message bouleverse le destin de Torpetius. Ce dernier ne se convertit pas, mais cultive sa foi chrétienne en cachette, ne sachant que trop bien ce que réserve Néron aux adeptes de cette nouvelle religion…

L’empereur Néron, parlons-en… Quatorze ans de règne (54-68 ap. J.-C.) lui auront suffi à laisser une empreinte noire et sans doute éternelle dans l’histoire de l’humanité. Néron a persécuté les chrétiens, les a jetés dans la fosse aux lions. Néron a assassiné sa mère. Néron aurait même incendié Rome.

En l’an 68, l’empereur matricide se rend à Pise pour célébrer une nouvelle statue élevée en l’honneur de la déesse Diane. Il ordonne à toute l’assistance de s’agenouiller devant la divinité romaine. Torpetius refuse, y voyant là le désaveu de sa nouvelle foi ardente. Aussi outré que désarçonné par l’affront d’un de ses plus éminents officiers, Néron insiste, en vain. Devant l’inflexibilité de son sujet, il décide de lui soumettre un ultimatum : revenir s’agenouiller devant la déesse le lendemain, ou mourir !

L’homme qui défia Néron à coups de miracles
Plutôt que se renier, le chevalier choisit de se faire baptiser et de rendre l’âme en chrétien. Il se rend alors dans une grotte des environs de Pise où se cache un vieil homme nommé Antoine, prêtre de son état. Au moment du baptême, un ange apparaît aux yeux de Torpez qui va prier toute la nuit avant de s’en aller au petit matin, ralliant Pise pour y délivrer sa réponse inéluctable.

La sentence tombe, Torpetius sera livré aux fauves par Sattelicus, pourtant l’un de ses proches, missionné par Néron pour exécuter la condamnation. Dans l’arène, cependant, rien ne va se passer comme prévu ! Un lion est d’abord lâché, s’élançant tous crocs dehors avant de s’écrouler et de venir périr aux pieds du condamné. Un léopard se rue à son tour vers notre homme mais ralentit à son approche, allant jusqu’à s’incliner pour lécher ses pieds nus.

La foule subjuguée crie au miracle, Néron ulcéré invoque les fouets ! L’empereur maudit ordonne à Sattelicus d’attacher son ami à une colonne de l’arène et de le flageller jusqu’à la mort. La peau déchirée par les coups, Torpez est à quelques lacérations du trépas quand une partie de la colonne le surplombant s’écroule sur le bourreau.

Finalement, devant l’effervescence collective et l’irrationalité des évènements, Néron fait emmener le condamné hors de la ville.

Exécuté en toscane, recueilli et glorifié en Provence
En ce 29 avril de l’an de grâce 68, Caius Silvius Torpetius meurt en martyre, décapité à l’embouchure de l’Arno. Dans sa fureur, Néron exige que l’on dépose son corps dans une barque aux côtés d’un coq et un chien chargés de le dépecer, selon un châtiment réservé habituellement aux parricides.
Andronic, un fidèle ami de Torpez, recueille sa tête encore vénérée aujourd’hui dans une église de Pise.

La dépouille aurait dû être dévorée et la barque de fortune échouée sur quelque côte inhospitalière. Pourtant, l’esquif et ses 3 passagers arrivent tels qu’on les avait laissés jusqu’aux côtes provençales. Une jeune mère nommée Célerine, avertie par un songe, recueille le corps intact sur la plage. Le coq s’envole alors avec un brin de lin jusqu’à un village que l’on nommera Cogolin (« petit coq » ou dérivé de « coq au lin ») et le chien s’enfonce au fond du golfe, recueilli dans un village que l’on baptisera Grimaud (« vieux chien »).

Caché par des chrétiens jusqu’à la fin des persécutions romaines, une église sera érigée autour du corps de Torpez, qui deviendra Saint-Tropez, homme au destin extraordinaire et village voué à rayonner dans le monde entier.

 

DE SAINT-TROPEZ À SAINT-TROPEZ

UNE LÉGENDE LÉGENDAIRE


La création d’un paradis terrestre
Le 17 mai 68, Torpetius est au paradis en train de siroter un Ricard à l’eau bénite au milieu des Saints. Tout de blanc vêtus, allongés sur une plage de sable turquoise devant une mer blanche, les bienheureux sont en train de deviser sur l’inanité des passions humaines. Quelqu’un frappe soudainement à une porte dégondée qui est plantée là, au beau milieu de la plage.


— Qui est là ?
— Dieu.


Tout le monde jette son verre derrière sa toge, oubliant un peu vite que Dieu est parfaitement omniscient.


— Dis-donc le nouveau, j’ai une mission pour toi. Afin de remercier les braves gens qui t’ont recueilli et qui ont reconnu le sacrifice auquel tu as consenti pour moi, j’aimerais que tu fasses de ce village un véritable petit paradis sur Terre. Si tu y parviens, je te ferai revenir ici.
— Très bien monsieur Dieu, ai-je une deadline ou bien ?
— Oui, j’ai 2 ou 3 bricoles à faire, j’aimerais que ce soit fait dès que j’ai fini.
— Ce qui me laisse… ?
— Disons 2000 ans.


Première mission pour l’âme de Torpetius revenue sur Terre : trouver une nouvelle enveloppe charnelle puisque son corps est à Saint Tropez, sa tête à Pise, et que les deux l’un sans l’autre ne sauraient faire un illustre tropézien. Un jeune marin espagnol au corps puissant et à la moustache encore frétillante vient de s’échouer sur une plage du coin. Ce sera lui.

Torpez s’attèle ensuite à prendre la température des lieux. Difficile d’y voir clair durant les 1000 premières années. Romains, Wisigoths, Burgondes, Sarrasins, tous se succèdent avec un sens assez limité de la fraternité, faisant fi des injonctions à la tolérance pourtant vociférées par Torpetius.

Papes et tartes à la crème, ainsi naquit Saint-Tropez
Notre saint décide alors d’y aller par étape : il obtient de ses copains papes Grégoire VII et d’Honorius III, respectivement en 1079 et en 1218, deux bulles pontificales confirmant l’existence du domaine seigneurial à Saint-Tropez.

S’estimant satisfait de cette avancée, à mi-chemin du temps imparti pour sa mission divine, Torpez s’accorde une petite sieste de deux siècles, le temps de reprendre ses forces.

Après avoir creusé une vingtaine d’années pour regagner la surface de la plage, notre chevalier a le gosier plus sec que le sable et le ventre plus vide qu’une rue de Rome un jour de sacrifice chrétien au Colisée. Il voit là une soixantaine de familles génoises qui viennent de débarquer de caravelles, invitées par le roi René 1er d’Anjou à repeupler la Provence et en particulier la nouvelle Baronnie de Grimaud.
Torpetius, qui rêve de pâtisseries depuis bien 200 ans, a soudain une idée.


— Messieurs, si vous souhaitez vous intégrer, il faut que vous inventiez une gourmandise dont les locaux ne pourront plus se passer.


Ainsi naquit la génoise.
Torpez interpelle ensuite Raphael de Garezzio, le chef de la joyeuse troupe, et lui suggère de rebâtir le mur d’enceinte à l’entrée de la cité où l’on servirait un ponch de bienvenue à tous les nouveaux arrivants.
Ainsi naquit « la Ponche ».

Fort de ses succès, notre valeureux saint met les bouchées doubles !
En 1558, il crée la charge de capitaine de ville afin de renforcer l’autonomie de la cité. Grâce à ces nouvelles dispositions, les Tropéziens résistent aux Turcs, aux Espagnols, secourent Fréjus et Antibes et aident même l’archevêque de Bordeaux à reprendre les îles de Lérins. Afin de remercier leur guide, les Tropéziens lancent en cette même année la première Bravade.


Quand Torpétius inspire Paul Signac et Roger Vadim
Tant d’honneur met mal à l’aise notre saint homme qui ne peut plus siroter un ponch sur le rempart sans être assiégé par des peintres flamands paparazzis. Torpez se résout donc à s’éclipser, estimant que deux siècles tout au plus suffiront à peaufiner le village avant le rendu final à Dieu. Le voilà donc à voguer sur les mers du monde durant un peu plus de 400 ans.
Saint-Torpez apprécie ce qu’il y retrouve au début du
XXe siècle : un joli petit village de pêcheurs et quelques artistes qui passent beaucoup de temps à la Ponche, sans doute pour accueillir les nouveaux.

Un soir, son ami Paul Signac :

— Tu sais Totor, nous autres artistes essayons de retranscrire la beauté à l’état pur, telle que nous l’imaginons au paradis. Dis- moi, entre nous, à quoi ça ressemble là-haut ?
Un peu comme ici mais tout en petits points et avec beaucoup de couleurs, mon Paulo.

 

Ainsi naquit le pointillisme.

Torpez s’amuse bien ici, mais il considère que deux ou trois choses manquent à l’appel pour que ça ressemble au paradis, à commencer par de la crème. Notre amateur de pâtisserie plurimillénaire discute avec un jeune polonais au sortir de la messe et lui demande s’il n’a pas un gâteau gourmand bien de chez lui qu’il pourrait lui faire goûter.

Ainsi naquit la tarte tropézienne.

De Néron à Eddie Barclay
Invité à la table par Malraux qui le prend pour un révolutionnaire espagnol, l’ancien officier de Néron débat avec Simone Beauvoir lui expliquant que les femmes doivent s’émanciper des figures paternalistes que représentent Dieu et l’homme, ce à quoi Torpetius réplique qu’il est un non-sens de s’éloigner de son démiurge puisque Dieu créa la femme. Roger Vadim, à la table de derrière, prend des notes dans son carnet.

Il est peu dire que notre ancien patricien ne passe pas inaperçu sur les plages provençales avec son accoutrement inchangé en 2000 ans : toge blanche et sandales romaines. Un certain Dominique Rondini, passant par-là, voit dans ces antiquités à lanières les germes d’une multinationale.

Ainsi naquit la sandale tropézienne.

Il fait de plus en plus bon vivre à Saint-Tropez. Saint-Torpez se dit qu’il se rapproche du but, regrettant tout de même au passage que sa dyslexie ait légué son nom à la postérité avec un accroc.
Certains considèrent même qu’il fait trop bon vivre dans la cité corsaire qui a à déplorer quelques excès peu chrétiens.
Torpetius décide d’aller voir le pape de la fête local et l’invite vigoureusement à un retour à la tradition en s’inspirant de lui. Eddie Barclay s’en inspire, mais seulement pour la toge immaculée, et crée les soirées blanches. Tout cela n’est pas pour arranger les affaires du saint…


Épilogue : Saint-Torpez à Moorea
Alors que l’an 2068, la date butoir laissée par Dieu, approche à grands pas, Torpez n’a pas toujours pas accompli sa mission. Saint Trop’ est certes presque un paradis, mais sans doute trop sulfureux aux yeux de certains pour y prétendre complètement.

Aux dernières nouvelles, on raconte que Torpez se prélasserait régulièrement sur la plage de Moorea, peut-être à côté de vous en ce moment même, à humecter sa moustache de quelque rafraîchissement…

S.G.

Ce double portrait est paru dans le magazine MORE #4, été 2019.

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